dimanche 24 novembre 2013

Retour vers le Futur, le secret de son succès



Qu'est-ce qui nous fait tant aimer Retour vers le Futur ? La question, comme pour tout grand succès populaire, mérite d'être posée, alors que le film va bientôt fêter ses 30 ans avec une aura intacte voire grandissante. J'ai eu l'occasion de le vérifier il y a quelques jours, quand j'ai revu le film avec mes deux neveux. Le premier a 22 ans et le considère comme son film de chevet. Le second a 9 ans et le découvrait avec autant de bonheur que moi à son âge.

Bien sûr, je fais partie de ceux qui ont grandi avec le film de Robert Zemeckis. Et quand un type de ma génération regarde aujourd'hui Retour vers le Futur, qu'est-ce qu'il se passe ? Grand sourire dès les premiers tintements du soundtrack, récitation de répliques cultes, jubilation de voir s'imbriquer les éléments du récit (même si la cohérence de nombreux points est loin d'être parfaite), bref une grande dose de plaisir enfantin. Toute tentative d'analyse est la plupart du temps balayée par l'enthousiasme que déclenche le film, un enthousiasme décuplé par la connaissance qu'on en a. La raison de la pérennité de Retour Vers le Futur, c'est son extraordinaire résistance aux visionnages successifs, rendus presque nécessaires par la complexité de l'intrigue et son sens du détail ludique. Retour vers le Futur est un film qui s'apprécie d'autant mieux qu'on le connaît, ce qui a au fil des années créé une proximité exceptionnelle entre le film et son public.




Cette appropriation de Retour vers le Futur par le grand public a été telle que la mythologie créée par Bob Gale et Robert Zemeckis est aujourd'hui quasiment l'équivalent de Star Wars et de James Bond en tant que phénomène culturel. Bien aidé par un doublage d'anthologie, le public français a très vite adopté les répliques de Marty, Doc et Biff, et certaines de leurs expressions sont rentrées dans le langage courant. La DeLorean est devenue une des îcones les plus identifiables du cinéma, et tous les fans peuvent fredonner de tête la musique d'Alan Silvestri. Si bien que l'impact du film sur la culture de masse est, à mon avis, même supérieur à celui d'Indiana Jones. Enfin, contrairement à tout phénomène culturel qui compte ses inévitables détracteurs, cet amour semble quasi-unanime. Retour vers le Futur fait figure d'intouchable dans le coeur des cinéphiles de moins de 40 ans.

Un nuage a récemment troublé ce ciel immaculé : la mise au point de Crispin Glover, l'interprète de George McFly dans le 1er film, discrètement remplacé dans les suites. Glover, que l'on peut décrire comme un artiste talentueux mais marginalisé par son exigence et son narcissisme, et qui a été apparemment difficile à gérer sur le plateau d'après Zemeckis, a donné en 2012 une interview assez glaçante pour régler ses comptes avec les producteurs du film, notamment Bob Gale. Voulant rétablir la vérité sur le véritable motif de son absence des deux séquelles, Glover affirme qu'il se s'agissait pas d'un désaccord financier mais avant tout de divergences artistiques sur la fin du premier film. La production n'aurait pas digéré ses critiques sur ce qu'il considère comme une fin immorale, et aurait volontairement saboté sa participation aux suites, en lui proposant un cachet de misère pour jouer la tête à l'envers. En effet, dans RVLF II, George McFly, interprété par le pauvre Jeffrey Weissman, apparaît comme ceci :



Cette voix dissonante dans le concert de chants énamourés qui entoure Retour Vers le Futur renvoie non seulement le film à sa manufacture compliquée (dont le remplacement tardif d'Eric Stoltz par Michael J. Fox dans le rôle principal est le meilleur exemple), mais rappelle qu'au-delà de l'efficacité imparable de cette comédie de SF, se cache une fable morale qui, elle, n'a pas toujours fait l'unanimité. Evidemment, en 1985, la critique française trouvait déjà le film un peu "bêta". Mais ce que dit Crispin Glover est déjà plus intéressant : il affirme que la fin de RVLF met en avant la réussite matérielle des McFly davantage que l'amour des parents de Marty comme indice de bonheur retrouvé. A vrai dire, quand j'ai lu cette interview, je n'avais pas un souvenir suffisamment frais de cet aspect du film pour en juger. Je me suis donc livré à un exercice difficile : essayer de regarder la trilogie d'un oeil neuf, et tenter d'en faire une petite analyse jorjienne (comprendre : de la psycho-socio à deux balles dont je suis friand). Entendons-nous bien : il ne s'agissait pas là de faire chuter l'icône de son piédestal, je suis bien trop attaché à ces films pour cela, mais d'essayer de poser dessus un regard neutre et adulte, comme si je le découvrais aujourd'hui. Et le résultat, croyez-moi, fait un peu mal.

Bon, le premier Retour vers le Futur demeure un divertissement rondement mené, excellent dans la comédie et qui contient déjà certaines audaces visuelles, c'est certain. Mais soyons honnêtes : quand on va au-delà de la simple efficacité en termes de comique et de suspense, tout cela est au service d'un propos, comment dire... le mot juste serait puéril.

C'est particulièrement voyant dans trois aspects du film :
1) Le rapport à la violence. Marty McFly est décrit comme un caractère fort, donc séduisant pour les filles (et notamment sa mère de 1955) en opposition à son père, un nerd pleutre et maladroit. Leur principale différence : le premier ose coller un pain à Biff alors que le second se laisse malmener. La résolution d'une des intrigues principales - pour Marty, rendre ses parents amoureux l'un de l'autre pour s'assurer de sa propre survie - passe par le poing dans la gueule monumental que George se décide finalement et triomphalement d'envoyer à Biff. Pour un film qui fait de son méchant principal une brute, un "bully" (donc un méchant de cour de récré, vision assez puérile là aussi), il y a quelque chose d'assez paradoxal à enseigner la vertu de la mandale comme vecteur de confiance en soi et comme moyen ultime de séduire les filles. Le fait de valoriser la susceptibilité impulsive et immature de Marty (il pète les plombs quand on le traite de mauviette) est dans la même logique.




2) Le rapport à la réussite et à l'argent, qui sont mêlés un peu maladroitement. C'est ce dont parle Glover : le film parle d'accomplissement de soi et une des conséquences de la modification du cours du temps par Marty est que ses parents sont plus heureux à la fin du film. La cause affichée, c'est que le père s'est finalement décidé à écrire ses livres de SF, c'est un winner, il est mieux dans sa peau (car il colle des mandales maintenant, et Biff est devenu son larbin). Mais ce qu'on voit, c'est une famille de nouveaux riches où tout est censé aller mieux parce qu'ils ont du pognon. Le frère de Marty en particulier n'est pas montré comme plus heureux, il est juste en costard-cravate et prêt à aller au bureau alors qu'avant, ce n'était qu'un employé de fast food. La récompense finale pour Marty n'est pas seulement de voir ses parents "amoureux" (son père donne une tape sur les fesses de sa mère, elle glousse), c'est de découvrir qu'ils lui ont offert le 4x4 flambant neuf de ses rêves ! Bref, on croirait la représentation mentale d'un enfant de 5 ans, qui attend son cadeau de noël avec envie mais incapable d'intégrer des émotions adultes dans son imaginaire.





3) le rapport à la mort. C'est peut-être le reproche le moins évident a priori et celui qui me gêne le plus. L'autre grand enjeu du film hormis la survie de Marty par la préservation du couple de ses parents, et on l'oublie trop souvent car c'est une comédie, c'est pour Marty de faire en sorte d'éviter la mort de Doc qui intervient au début du film. Doc se fait en effet abattre par des terroristes lybiens montrés de manière très caricaturale (là encore on retrouve une imagerie enfantine), et Marty, dans son voyage en 1955, va tenter de prévenir le jeune Doc du danger qu'il court en 1985. Marty est un personnage d'enfant, volontaire mais vierge de toute éthique, qui veut pouvoir modifier la course du temps comme bon lui semble, au service de ses intérêts propres. Doc, au contraire, est un personnage d'adulte, dans le sens où il pose des limites dans son utilisation du voyage dans le temps. Le Doc de 1955 se refuse à connaître son propre futur, c'est pour lui une question de principe, car dit-il, connaître son propre futur risquerait de briser le continuum spatio-temporel et de causer la destruction de l'univers (sic). Il déchire donc la lettre de Marty où celui-ci essaye de le prévenir. Or, si on croit à la fin du film que Marty arrive trop tard pour sauver Doc et que celui-ci se fait bel et bien tuer, on découvre finalement que Doc est vivant grâce au gilet pare-balles qu'il a revêtu. Il a en effet décidé de recoller et lire la lettre de Marty, et donc de revenir sur ses principes. Marty lui demande alors "et toutes ces histoires sur le fait de ne pas connaître son futur ?", Doc répond "je me suis dit, on s'en balance", réplique étrange qui a du mal à cacher l'incongruité de ce revirement pour le moins individualiste et irresponsable.





Le film évacue ainsi toute idée de fatalité et fait du voyage dans le temps un moyen non seulement de réaliser tous les fantasmes, comme changer de vie et devenir riche, mais aussi de briser l'interdit de l'inceste maternel et de nier la mort. Et de s'en amuser. Un point de vue encore une fois très immature, un point de vue d'enfant qui pense que tout est possible...

Il y aurait donc largement de quoi accuser le film de véhiculer une philosophie tendacieuse. Rien d'étonnant de la part de Zemeckis dont les films ont toujours un arrière-goût politique étrange (on pourra reparler de Forrest Gump), on évitera à ce propos de développer la vision que donne le film des Noirs. Mais ne nous éloignons pas du sujet. Ma question première était : pourquoi aimons-nous Retour vers le Futur, une question qui devient d'autant plus pertinente une fois qu'on a relevé tous les travers du film.

En réalité, je crois qu'on peut à la fois adopter toutes ces réserves et aimer le film pour les mêmes raisons. Je suis persuadé que ce que j'écris plus haut et qui me dérange en tant qu'adulte, ce sont exactement les raisons pour lesquelles j'ai aimé le film étant gamin, et que ce sont précisément les secrets de son succès. Car c'est un film de gosse, oui, mais un film de sale gosse, un film qui ne respecte rien. Son énergie fait que les transgressions qu'il opère sont jubilatoires. Quel est le coeur du film ? On sait que pour Bob Gale, il s'agissait au départ de répondre à la question : "est-ce que je me serais bien entendu avec mon père si j'avais été au lycée avec lui ?". Heureusement, le film va bien plus loin que ça et va réveiller chez nous des choses bien plus profondes.



C'est un film en forme de rêve d'enfant (le film suggérant explicitement qu'on est peut-être dans un rêve de Marty), fait d'espoirs et de peurs. Un film où l'on s'imagine en rock star, plus fort que la brute qui nous terrorise et capable de rendre nos proches heureux. Un film où l'on joue à défier les règles du temps, de la vie et de la mort. La force et la faiblesse de Retour Vers le Futur, c'est qu'il illustre avec la naïveté d'un enfant, dans ce que cela a de bon comme de moins bon, des fantasmes et des angoisses primordiales. Ainsi le Doc peut-il être vu comme l'ami imaginaire de Marty, une projection de lui-même adulte (Doc a un physique de vieillard mais un esprit d'enfant), dont le sort funeste au début du film illustre une trajectoire possible pour Marty (le génie raté). La mort puis la résurrection du Doc peuvent être vus comme des désirs inconscients d'échapper à sa propre mort de la part de Marty, désir également présent au premier degré quand son existence même est menacée par l'amour que lui porte sa mère en 1955.

Voilà probablement l'aspect le plus intéressant du film, déjà maintes fois relevé (par exemple ici), mais pas toujours développé. Le postulat fantastique du voyage dans le temps lui permet d'aborder le thème de l'inceste de manière subtile et policée en faisant de l'enfant Marty l'amant potentiel de sa propre mère sans que celle-ci s'en rende compte. Pour le jeune garçon, et bien que sa mère soit tout à fait attirante, la gêne et le rejet de cet amour contre-nature sont ressentis sans ambiguité. La grande trouvaille du film, c'est sa représentation d'une angoisse universelle : celle que ressent un enfant devant l'amour excessif de son parent du sexe opposé. En effet, non seulement Marty est révulsé par la possibilité d'avoir une aventure avec sa mère, mais cette aventure menace son existence-même en menaçant le couple parental. Quand il découvre que sa mère est amoureuse de lui et non de son père, Marty visualise sa disparition progressive sur une photo de lui. Puis c'est sa main qui disparait. Ce procédé visuel très naïf au premier degré est en fait une représentation très exacte psychologiquement de la nature de l'angoisse liée à l'inceste : une angoisse de morcellement et d'anéantissement pour l'enfant. Rappelons que Marty n'est pas dépeint comme un jeune homme hyper équilibré au début du film : légèrement asocial, franchement impulsif, mauvais en classe et pas stabilisé sentimentalement (il se retourne sur les filles même quand il est avec sa copine Jennifer), quelque chose ne va pas chez lui. En quoi sa situation a-t-elle changé pour lui-même, qui justifie son bonheur à la fin du film ? Le couple parental s'est reformé, son père s'est "virilisé", lui laissant la distance nécessaire pour s'affirmer comme individu.
Ainsi, Retour vers le Futur serait bien loin d'être le divertissement inoffensif longtemps envisagé mais un film juste et audacieux sur un thème quasi tabou au cinéma. Combien de films grand public ont traité et aussi bien retranscrit l'angoisse de l'inceste maternel ?




Le second film, dont j'avais un excellent souvenir, m'a semblé beaucoup moins intéressant. Il tente de nuancer le propos sur le plan moral en faisant d'un élan cupide de Marty la cause de tous les malheurs des personnages, mais malgré ces intentions, il échoue à développer une vision intéressante en s'embourbant un peu dans un trop-plein de péripéties qui peuvent tourner à vide quand on ne découvre pas le film. En revanche, il reprend et pousse à son paroxysme une des grandes idées du premier, celle de l'interactivité avec le spectateur. C'est un peu le film geek par excellence, dans le sens où la jubilation qu'on en retire vient en grande partie du jeu sur le détail auquel on est convié. La création d'une mythologie très élaborée, à la fois visuelle et factuelle, donne l'occasion à Gale et Zemeckis de proposer au spectateur un véritable challenge intellectuel : celui de repérer ou de questionner toutes les correspondances d'une temporalité à une autre.




Ce ludisme touchant à la cohérence du monde dans lequel on est immergé, renforcé par moultes références et clins d'oeil, c'est un des fondements de la culture geek, et une des tendances majeures de la fiction contemporaine. Et je me demande si au cinéma, le succès phénoménal de Retour vers le Futur n'en est pas la matrice. En ce sens, les deux premiers films sont véritablement importants historiquement. Après, ce qu'on pense de cette tendance, c'est autre chose. Ce 2e volet peut être vu comme un jeu plus que comme un film. On propose au spectateur moins un voyage émotionnel qu'un jeu qui fonctionne comme un puzzle, dont le but est de mettre un récit en ordre, et dont le plaisir retiré dépend de notre degré de réussite à ce jeu. En ce sens, les RVLF annoncent toute une série de films à énigmes, truffés de détails qui ne se révèlent qu'après plusieurs visionnages, et qui fonctionnent eux aussi sur le degré de connivence avec le spectateur plus que sur la seule force du récit.

Comme je le sentais venir, Retour vers le Futur 3, qui fait figure de mal aimé chez les fans, vieillit assez bien. Sa simplicité et son côté déceptif (les quelques tentatives de jeu sur la mythologie de la saga tombent le plus souvent à plat) peuvent être des atouts si on les voit comme un moyen de clore l'histoire sur une tonalité plus mature et mélancolique. Le temps de se rendre compte que les fantasmes sont bien où ils sont (c'est-à-dire, ici, de l'autre côté d'un écran, la DeLorean étant lancée depuis un Drive-In), la machine à vivre ses rêves, la DeLorean donc, est détruite et c'est tant mieux. Les personnages de Marty et Doc (mais ne font-ils pas qu'un ?) apprennent à vivre dans le présent, l'un en apprenant la tolérance la frustration (il se laisse traiter de mauviette), l'autre en trouvant l'âme soeur. Les notions d'héritage, de transmission (les enfants de Doc) et de souvenir (la photo de Doc et Marty) prennent la place d'un désir de contrôle et de toute-puissance sur sa vie. Si la mort est une nouvelle fois bravée (belle image que cette pierre tombale brisée), c'est en fait sa crainte que l'on éloigne en acceptant son inéluctabilité (le train remplace la voiture comme moyen de locomotion, un véhicule qu'on ne dirige plus mais qui nous dirige, belle idée là encore pour symboliser un lâcher-prise nécessaire sur le temps qui avance).




Un film assez riche en symboles donc, qui aurait pu être plus fin encore mais qui, en l'état, fait énormément de bien à la trilogie en l'équilibrant. L'ensemble est donc assez passionnant à analyser et je m'étonne que cela n'ait pas été fait davantage. Retour vers le Futur fait partie de ces films qui sont considérés comme des purs divertissements, alors que, comme tous les immenses succès populaires, ils reposent sur des mécanismes qui en disent beaucoup sur ce grand mystère : qu'est-ce que le public vient chercher dans une fiction ?





Je ne peux pas terminer ce papier en ajoutant que pour ma part, j'ai toujours associé en les opposant Retour Vers le Futur et Terminator. 
Les deux films sont sortis à des dates très proches, ont imposé le thème du voyage dans le temps au cinéma et ont eu un impact énorme sur la culture populaire. Or ce sont deux approches très différentes. Là où Retour Vers le Futur utilise le voyage dans le temps comme un moyen de vivre ses fantasmes et de répondre à ses angoisses, dans Terminator c'est un élément de réalité : il nous rappelle à notre futur, donc à notre mortL'idée de fatalité est omniprésente dans le film de Cameron, et le voyage dans le temps est vu comme un moyen non pas de changer le cours des choses (puisque le continuum y est immuable), mais de donner un sens à une vie. De quoi choisir son camp... ou pas, les deux visions étant complémentaires, comme le montre bien le succès des deux films, souvent aimés du même public.



vendredi 4 octobre 2013

Breaking Bad vs Dexter : le vieil homme et l'enfant



Il n'aura échappé à personne que viennent de s'achever, quasiment en même temps, deux séries emblématiques des années 2000. On pourrait même dire deux des dramas les plus importantes de ces 15 dernières années, avec The Wire, 24, Lost, The Sopranos et The West Wing. Avec elles, tout du moins en ce qui me concerne, c'est une page qui se tourne puisqu'aucune des séries que je continuerai de regarder en 2014 n'égale en intérêt ces deux-ci.

Or il est particulièrement intéressant de rapprocher, et en l'occurrence d'opposer, les conclusions de Dexter et de Breaking Bad, d'une part car les deux séries ont eu des destinées divergentes d'un point de vue créatif, ce qui est toujours instructif pour mettre ce qu'on voit dans un contexte de fabrication, et d'autre part car malgré des rapprochements thématiques évidents (un anti-héros menant une double vie comme personnage principal), leurs enjeux narratifs respectifs étaient radicalement différents, voire symétriquement opposés.


Le générique de Dexter : un des plus réussis de tout l'univers des séries

J'ai toujours eu à coeur de rappeler que Dexter était une série beaucoup plus subtile qu'il n'y paraissait. Quand elle déboule sur les programmes de la chaîne Showtime en 2006, on ne voit que les gros sabots de la provocation. Depuis quelques temps, les séries télé sont devenues le refuge créatif d'un paysage audiovisuel qui exclut des salles de cinéma tout ce qui est subversif : sexe, violence, et entorses à la morale. Dexter est donc l'avatar parfait de ce refoulement, l'incarnation de ce renversement des valeurs traditionnelles vers lequel la télévision se dirige tête baissée pour exister. Après les héros borderline (Jack Bauer) ou criminels (les détenus de Oz, Tony Soprano), après la mère de famille dealer (Weeds), et avant Walter White, Henry VIII ou la famille Lannister, voilà carrément le héros-serial-killer, où comment la figure traditionnelle du mal absolu, du monstre, se proposait en point d'ancrage du spectateur. Un pitch gonflé certes, mais dont la portée était considérablement amoindrie par un élément fondamental dans la caractérisation du personnage. En effet, à partir du moment où elle introduit une dimension morale dans le comportement de Dexter (il ne tue, selon le code qu'il s'est imposé, que ceux qui le "méritent"), la série risquait d'annihiler toute la dimension subversive du personnage. Plutôt qu'un tueur cruel et inquiétant, Dexter se posait potentiellement en justicier, en "vigilante" qui fait le sale boulot pendant que la police et la justice laissent les criminels en liberté : un personnage tout sauf original et intéressant donc, et propice à un discours plus que limite. La série, au stade du pitch, jouait encore avec le feu.

Mais ces craintes n'ont pas duré longtemps : dès les premiers épisodes, il apparaît que les créateurs de la série ont parfaitement cerné les limite de leur argument de départ. Se gardant bien de toute considération morale, Dexter s'est définie comme une série au premier degré, très subjective, vue à travers les yeux de son personnage principal - et surtout à travers sa voix. Ainsi, les meurtres de Dexter ne sont justifiées que pour lui-même, et non pas objectivement. De plus, la série a vite adopté un ton détaché et ironique qui introduit une distance considérable avec les horreurs commises par Dexter. Très vite, il devient évident que le récit est essentiellement métaphorique, et que si l'utilisation de la violence et du meurtre, fût-il en série, est essentielle dans sa dimension cathartique, le show ne parle pas réellement d'un tueur en série, mais d'un inadapté social, un immature affectif et social, quelqu'un qui n'a pas intégré la norme au fond de lui mais qui doit, pour continuer de vivre à la fois libre et en société, faire semblant.

La révélation du trauma infantile de Dexter, premier pas vers la lumière

Le grand argument de Dexter (la série), c'est celui-ci : Dexter n'est pas un monstre, Dexter, c'est nous. Ou du moins la part de nous-même qui résiste à la pression sociale. Ce double-jeu que mène Dexter tous les jours pour s'adapter aux règles de la vie en communauté, nous l'avons tous mené, nous l'avons plus ou moins intégré, mais il subsiste des résistances à ce jeu social qui font que nous ne pouvons que trop bien nous identifier à Dexter, qui incarne la tentation de la transgression, à la fois dangereuse et séduisante. Ce qui permet à la série de fonctionner, ce n'est donc pas la provocation, c'est, dans un paradoxe que je trouve assez génial, son humanisme. Et là où la série devient vraiment subversive (et importante), c'est quand elle nous questionne sur notre propre rapport à la monstruosité, le monstrueux étant ici ce que nous savons être en nous-même, et ce que nous partageons avec Dexter, mais que nous rejetons avec d'autant plus de force que ce monstre est séduisant. En d'autres termes, Dexter n'est pas vraiment un psychopathe, c'est un être humain en formation, un enfant, qui apprend à vivre avec les autres, à trouver sa place, à éprouver des émotions et à les identifier. Toute la trajectoire de Dexter, du moins dans les premières saisons, est une trajectoire de résilience : de rencontre en rencontre, il apprend sur lui-même et plus il comprend qui il est et pourquoi il agit, plus il devient maître de lui-même et de ses choix.


Walter White : all in the chemistry

L'erreur qui a souvent été faite en comparant Dexter et Breaking Bad, c'est d'associer les deux personnages dans la catégorie "les bad guys qu'on aime bien". Or Dexter et Walter White sont très différents. Certes les deux personnages incarnent la tentation de la transgression, et c'est ainsi que l'identification, du moins une certaine empathie, fonctionne avec le spectateur. On peut être attaché à Dexter car il incarne le "dark passenger" libéré, un personnage fort, détaché des contraintes sociales, qui fait ce qu'il veut et qui est suffisamment rusé pour ne pas se faire prendre. Walter White incarne lui aussi ce fantasme criminel, transgressant l'interdit et prenant le pouvoir par la force, se muant de raté timoré en figure charismatique absolue. Là où les deux personnages diffèrent totalement, c'est que l'un est conscient de ses choix et l'autre pas. Dexter est un immature complètement dominé par ses pulsions et qui cherche à les réguler, alors que Walter White est la personification d'une midlife crisis carabinée, le résultat d'un terrible malaise existentiel face à la perspective de mourir en ayant raté sa vie. Il est donc logique que la trajectoire des deux personnages soit opposée : Dexter est un asocial-né et va, par ses choix, essayer petit à petit de trouver sa place dans le monde, tandis que Walter White est un adulte parfaitement sociabilisé qui choisit consciemment de se mettre en marge car c'est le seul moyen pour lui de se sentir vivant. Un enfant qui se sociabilise d'un côté, un vieil homme qui se marginalise de l'autre. Que le premier s'exprime longuement sur ses atermoiements en voix off là où le second paraît impénétrable est révélateur de leur différence de nature. Dexter est un innocent qui se questionne, Walt un coupable qui se tait à lui-même.

C'est là malheureusement que le processus créatif des deux séries rentre en jeu. Car si on a avec Breaking Bad l'exemple-type de la série intègre et cohérente, dirigée de bout en bout et de main de maître par un showrunner, Vince Gilligan, qui sait parfaitement où il va et qui est soutenu dans ses décisions par ses producteurs, il n'en a pas été de même pour Dexter. La "poule aux oeufs d'or" de Showtime a connu une progression chaotique, des saisons inégales, et surtout une fin de carrière plus que décevante. Après la brillante saison 4, les scénaristes avaient l'opportunité de construire un arc de sortie logique pour le personnage principal, qui avait payé très cher ses mauvais choix (faire du Trinity Killer une figure tutélaire et mentir à Rita, ce qui a coûté la vie à celle-ci). La saison 5 avait tous les ingrédients pour favoriser une évolution décisive de Dexter : la rencontre avec un personnage qui pouvait l'accepter comme il était et l'amener vers la lumière (Lumen !), ainsi que la découverte de son identité par sa soeur Debra. Au lieu de ça, la série a reculé pour continuer à exploiter le filon. S'en sont suivies trois saisons médiocres où elle ne ressemblait qu'à une parodie d'elle-même et n'apportait plus aucune idée neuve. Pire, le personnage de Dexter a semblé se figer et ne plus évoluer tandis que le regard porté sur lui se faisait de plus en plus complice et complaisant, au détour de quelques considérations morales que la série avait heureusement évitées jusque là. Sous l'influence de Scott Buck, le showrunner des 3 dernières saisons, Dexter a fini par tomber dans le piège que lui tendait son pitch de départ : faire de son personnage un tueur sympathique qui ne se remet pas en question. Preuve de la perte totale de lucidité des scénaristes sur ce qu'ils font, la tentative bancale de résolution finale de la série est soutenue par des choix qui ne paraissent jamais logiques mais qui sont récités en voix off au spectateur, sans jamais être justifiés. Dexter s'arrête de tuer, fait disparaître sa soeur, se condamne à l'exil, mais on ne comprend jamais pourquoi. Et surtout, il s'agit d'un finale qui, derrière son côté inattendu, révèle un conformisme moral et une gravité qui contrastent avec l'identité profonde de la série.


Walt dit adieu à sa baby blue
Toute le contraire du finale de Breaking Bad, magnifique de sobriété et d'intégrité, qui s'autorise le luxe de ne contenir presqu'aucune grande surprise pour boucler dignement toutes les storylines et surtout, donner enfin une réponse définitive à la grande question qu'a toujours posé la série : qui est Walter White ? Ce personnage fascinant, tantôt effrayant, admirable, pitoyable ou émouvant, qui a toujours un léger coup d'avance sur tout le monde (y compris le spectateur), est enfin révélé. Et je dis plus haut "presque aucune surprise", car il y en a quand même une dans Felina. Plus qu'une surprise, une ultime mise au point, mais qui m'a laissé songeur pendant plusieurs jours après avoir vu l'épisode. Car il y est dit, avec une absence totale d’ambiguïté, que Walter White aimait par dessus tout cuisiner sa blue meth. Walt l'avoue à sa femme en des termes qui ne laissent pas de place au doute, il se l'avoue à lui-même, la série se termine dans un labo après une ultime caresse à une cuve et sur "Baby Blue" de Badfinger : nous qui avions cru que Walter White faisait ce qu'il faisait pour sa famille, pour les mettre à l'abri du besoin, nous nous trompions : Walt faisait de la meth car il aimait ça. Le grand amour de sa vie, sa plus grande réussite, sa fierté, ce qui a donné du sens à sa vie, c'était ça. Et on a l'impression, après ce plan final, qu'il ne regrette rien et qu'il est mort comme il a voulu. A côté du finale de Dexter et du sort que celui-ci se réserve, voilà qui est bien plus subversif ! Mais surtout, c'est bel et bien la fin idéale pour la série, celle qui lui donne une âme et l'émotion qui lui a parfois manqué, et la plus belle sortie possible pour le personnage de Walter White : après tant de mensonges, il trouve la paix dans la vérité. Et comme tout dans Breaking Bad est à la fois plus simple et plus complexe qu'il n'y paraît, Vince Gilligan souligne grâce à sa mise en scène que tout était déjà présent dès le départ. Tout comme il filme Walt chez Skyler déjà dans la pièce mais révélé par un léger mouvement de caméra, Gilligan nous invite à regarder en arrière et à mettre à l'épreuve la cohérence de sa série. Tout était là dès le départ. Dès le 5e épisode de Breaking Bad, Walt refuse l'argent des Schwartz par orgueil et repart faire de la meth. Dès le départ, je vous dis.


En un plan, tout Breaking Bad
En ce mois de septembre, nous avons donc dit adieu à deux grandes séries. L'une dont l'ambition initiale a certes été dévoyée par les aspirations mercantiles et le manque d'inspiration sur le long terme de ses auteurs, mais qui restera comme une série atypique, audacieusement humaniste et dont la richesse autorise sans problème la revoyure des 5 premières saisons. Et l'autre qui se classe parmi les plus purs joyaux de fiction, tous media confondus, une série qui a redéfini probablement pour longtemps les références des séries télé, que ce soit dans son ambition formelle, dans sa redoutable efficacité narrative, ou tout simplement dans la force et l'honnêteté de son récit.

vendredi 30 août 2013

John McTiernan, le vertige et la chute





L'actualité judiciaire tragique de John McTiernan aura eu au moins cet effet bénéfique : faire à nouveau parler de ce réalisateur, qui - on l'aura deviné - a sa place dans mes tous préférés.
Car si McT fait toujours l'objet d'un culte dans une certaine sphère critique (surtout française et majoritairement geek), cette admiration parfois bruyante suscite souvent l'incompréhension chez les autres cinéphiles qui, même s'ils aiment ses films les plus respectables (les deux Die Hard), ne voient pas où se situerait le prétendu génie d'un cinéaste davantage considéré comme un "habile faiseur" ou un "honnête artisan", selon les expressions consacrées. Ca et là, on lit même que l'artiste serait surestimé, malgré le caractère encore marginal du culte dont il fait l'objet.
Le discours des fans est malheureusement impuissant à combler le fossé : McT serait un maître du "découpage", un virtuose de l'espace en trois dimensions, un metteur en scène "musical"... Que des termes un peu sibyllins pour le cinéphile de base, qui en revanche arrive assez bien à discerner l'esthétique d'un Tony Scott, le ton satirique d'un Paul Verhoeven ou les thématiques chères à James Cameron, pour prendre les réalisateurs qui jouent sur le même terrain que McT. L'incompréhension atteint parfois des sommets quand ses fans les plus dévoués s'essayent à démontrer la valeur d'un film comme Rollerball, largement conspué, en développant un discours plus ou moins pédagogique selon lequel le film renvoie aux spectateurs sa propre médiocrité... Bref, alors que le réalisateur n'a plus tourné depuis 10 ans, le débat sur sa valeur est plus vivace que jamais.



Le collectif de soutien fondé par des Français
Le gros problème de McTiernan, c'est que l'essentiel de son talent repose sur l'utilisation d'une technique cinématographique extrêmement pointue et inventive, que salue la plupart de ses collaborateurs, mais toujours au service d'un but plus grand. Aucun des effets qu'il utilise n'est gratuit : servant toujours à guider le regard et à stimuler le spectateur, sa mise en scène bien que très élaborée n'est en que plus discrète, jamais ostensible, toujours "digérée" dans l'information ou l'émotion qu'elle fait passer. Pour faire simple : quand on regarde un film de McTiernan, on ressent l'effet que la mise en scène recherche, sans forcément remarquer la technique qui se cache derrière. Ce que McTiernan désire atteindre, c'est un langage cinématographique aussi nuancé et évolué que la musique, capable de raconter une histoire par des émotions, sans passer par le texte ou l'analyse. 

Ce n'est qu'en s'attachant précisément à comprendre ses choix artistiques, en revoyant ses films à cet effet, qu'on réalise à quel point non seulement McT a bel et bien une "patte", mais à quel point il est un des réalisateurs les plus audacieux et influents de sa génération. Et bien loin de n'être qu'un formaliste, celui que l'on prend souvent pour un simple "action director" a su construire une filmographie cohérente, aux motifs récurrents, à l'évolution logique et où des thématiques émergent. Ses films, de Nomads à Basic, en disent beaucoup plus sur leur auteur qu'ils n'en ont l'air, et c'est une figure éminemment complexe qui se dessine, passionnante à tenter de cerner.


McT et un de ses motifs : le personnage qui tombe

Car John McTiernan cultive les paradoxes : œuvrant dans un cinéma populaire et bourrin alors qu'il se réclame de Godard ou Bertolucci, cherchant à être un entertainer malgré sa détestation d'Hollywood, désirant divertir son public mais également le bousculer, le faire sortir de sa zone de confort (effort croissant dans l'évolution de sa filmographie), il se révèle en interview d'une érudition sans bornes mais d'une modestie confiant à l'auto-dépréciation. Son parcours d'homme et de réalisateur semble lui-même soumis à des tiraillements internes qui l'ont emporté sur toute stratégie...

Son père, John Sr., décédé en 2008, était un avocat ayant quasiment perdu la vue lors de sa participation à la 2e Guerre Mondiale. Pour travailler sa voix dans les plaidoiries, il prend des cours de chant et devient bientôt passionné d'art lyrique et chanteur d'opéra occasionnel. Elevé en partie par son grand-père, militaire de carrière, le petit John Jr. suivra son père sur les planches et participera à la mise en scène de certains de ses spectacles. Délaissant le théâtre pour le cinéma, il fait ses études à la Julliard School de New York avant de rejoindre l'American Film Institute à Beverly Hills. Là, il sera élève du réalisateur slovaque Jan Kadar qui l'encouragera à envisager un film comme une partition musicale, formé d'une suite de plans comme une symphonie est une suite de notes. Et comme un musicien apprend les notes des grandes pièces de musique, Kadar l'incitera à apprendre par coeur de grands films comme 8 et demi ou Orange Mécaniqueséquence par séquence, et à s'interroger sur chacune d'elle. C'est ainsi que McT va trouver sa méthode de travail : visualiser tout le film dans sa tête, plan par plan, avant de le tourner.



Après quelques films d'étudiants, il se voit confier son premier gros budget en 1986 avec Nomads.
Pierce Brosnan, qui deviendra l'ami de McTiernan en partie à cause de leur origine irlandaise commune, y joue un anthropologue français perturbé par son emménagement à Los Angeles. Il décide de prendre en chasse une bande de loubards qu'il soupçonne être des esprits démoniaques.
Pris à part, le film est une anomalie étrange et inclassable, faux film fantastique à la narration mal maîtrisée et bourré des défauts de débutant, flirtant parfois avec le nanar halluciné. Mais il contient déjà énormément de motifs (la poursuite, l'ennemi invisible, le groupe, la chute, les personnages éclairés derrière des stores) et de thématiques (le personnage exilé, le désir de fuite, le langage, le conflit conjugal) propres au cinéma de McTiernan. La chanson du film, Stranger, souligne cette impression : les paroles sonnent comme une note d'intention de toute la filmo de McT.


Une chute jumelle de celle de Die Hard
Mais au-delà de ces correspondances, on assiste déjà à l'affirmation d'un style. Certaines séquences sont très réussies, la plus remarquable de toutes étant celle de la "transmission" entre Brosnan et Lesley Anne Down, où le premier se jette sur la seconde. Le mouvement d'appareil épouse la trajectoire des personnages, donnant l'impression que le sol se dérobe sous la caméra (ici à 1'16).

Souvent considéré comme un maître de l'appréhension de l'espace, McT aime également rappeler qu'il recherche, à travers sa mise en scène, à reproduire des images de l'intensité d'un rêve. Et en effet, si sa mise en scène est souvent d'une limpidité exemplaire, elle va parfois brouiller nos repères en recherchant un effet de vertige brutal et déstabilisant. C'est ce que semble avant tout rechercher Nomads, film cauchemar où transparaît déjà tout le côté obscur de McTiernan : paranoia, dépression et pulsions auto-destructrices, sans compter une aversion féroce pour la Californie... Un film probablement d'autant plus personnel qu'il en est l'auteur du scénario et que la femme du personnage principal est jouée par Ana-Maria Monticelli, avec qui McT a eu son premier enfant.  

Il n'y avait probablement que Joel Silver pour remarquer dans Nomads le potentiel de son réalisateur et lui confier une série B d'action dans la jungle avec Schwarzenegger. McTiernan avoue lui même avoir eu la chance de partager un agent avec la star autrichienne, ce qui lui a permis de réaliser son premier film de studio. Ce tremplin pour Hollywood, que McT voit comme un pur divertissement, c'est évidemment le méga-culte Predator.


Un angle de cadre étrange qui renforce l'intensité du plan

Celui-là, c'est un film de chevet, et même plus que ça : un des 4 ou 5 films qui m'ont fait aimer le cinéma. J'avais une dizaine d'années quand je l'ai vu en salles ! Ma grand-mère, qui m'accompagnait à l'époque, ne s'en est toujours pas remise.
Avant de me refaire une intégrale McT pour cet article, je ne l'avais pas revu depuis longtemps et c'est génial de se rendre compte que tout fonctionne toujours aussi bien. Il y a vraiment un charme propre à ce film et qui ne se dit pas facilement, comme une odeur, une mélodie, quelque chose qui parle aux tripes sans passer par la case cerveau, qui fonctionne à un niveau primal, enfantin. Ce qui est sûr c'est que ce script était idéal pour McTiernan et le laisser embrasser la jungle et développer son sens de la mise en scène expressive. Il y déploie toute une panoplie de procédés (bascules de point, lents zooms, travellings complexes, hyper-plongées et contre-plongées) sans que cela se voie, toujours à bon escient, atteignant parfois ce point de vertige où le spectateur perd tout repère spatial sans pour autant cesser de comprendre ce qui se passe (l'attaque de Carl Weathers par le Predator). On pourra à l'envie gloser sur le sous-texte sexuel du film, rappeler la dimension mythologique du récit, noter que l'intrigue repose encore sur un jeu d'apparences trompeuses, mais on reste surtout en face d'une pure leçon de cinéma quasi muet, faite par un intello qui voulait notamment se moquer de ces gros beaufs avec leurs fusils en soulignant leur impuissance. Le film sera un succès surprise et catapultera l'année suivante McT aux commandes d'un thriller d'action urbain initialement prévu pour être la suite de Commando. McT transformera radicalement le projet pour y injecter de l'élégance, de l'humanité, et beaucoup de légèreté. Le genre ne s'en remettra pas.


L'irrésistible ascension de John McClane

Je ne reviens pas longtemps sur le monument Piège de Cristal, qui ne vieillit presque pas et qui n'en a pas encore fini de dévoiler les secrets de sa parfaite mécanique. Juste dire qu'en trois longs-métrages (en trois ans !), voilà déjà McT au sommet de son art. Grâce à Jan DeBont qu'il emprunte à Verhoeven, il adopte une esthétique qui restera sa marque de fabrique : scope anamorphique et lens flares qui envahissent la nuit. Et McTiernan trouve enfin son héros : un type qui a le vertige, qui ne s'aime pas beaucoup, qui n'est pas doué avec les gens, qui n'aime pas la Californie ni les manières des riches, un emmerdeur qui ne renonce jamais et qui gagne par la ruse. Un type qui lui ressemble.

Là encore, le film demeure une leçon de cinéma : la caméra, toujours en mouvement, distille une quantité d'informations incroyable avec une simplicité, comme on dit, désarmante. C'est certainement, avec Octobre Rouge, le film le plus "parfait" de McTiernan, celui qui correspond le mieux à l'ambition avouée du réalisateur : la simplicité narrative d'un John Ford, la sophistication formelle d'un Fellini, la maîtrise d'un Kubrick.



Au tout-action des films précédents, McTiernan opte à présent vers le thriller de chambre, ou plutôt de sous-marin. Mais pour celui pour qui les dialogues ne sont "que du bruit" (le film est en partie, comme souvent, parlé en langue étrangère non sous-titrée), le défi consiste à raconter cette histoire par l'image. Du coup, Octobre Rouge est certainement le film le plus fin et racé de son auteur, une passionnante partie d'échecs qui se joue en partie sur les sons et le tempo (la stratégie de Ramius consistant à adopter le bon mouvement au bon moment), rappelant l'obsession de McT pour le récit musical. Stylistiquement, c'est le jumeau de Die Hard, et de nombreuses correspondances visuelles sont tissées entre les deux films. 
En outre, il s’agit à mon avis, malgré ses airs de grosse machine à suspense d'après Tom Clancy, d’un des films les plus personnels de McTiernan en plus d’être l’un de ses plus aboutis. On a l’impression de retrouver un peu de McT dans tous les personnages : du sonar amoureux de musique classique au militaire « cow-boy » interprété par Scott Glenn en passant par l’officier russe (Sam Neill) qui rêve du Montana, l’état voisin du Wyoming où McT s’est installé, et bien sûr par les personnages de Ramius (Connery) et de Jack Ryan (Baldwin). Le film a souvent été jugé dépassé à cause de son contexte de guerre froide. Mais c’est avant tout l’histoire d’un homme, Ramius, qui cherche à fuir son monde pour se fuir lui-même, dans un geste quasi-suicidaire (il ne se donne qu’une chance sur trois d’y survivre) causé par la culpabilité de ne pas avoir été là quand sa femme est morte. Ce personnage, c’est du pur McTiernan version côté obscur, et on imagine que le réalisateur peut aisément se reconnaître dans ce que vit un sous-marinier, obligé de s’éloigner de sa famille pendant une mission (un tournage) de plusieurs mois. Quant à Jack Ryan, c’est le côté clair de McT : un érudit, homme de dossier et d’instinct, un peu timide et vulnérable (il a – encore une fois – le vertige), mais qui sait dépasser ses peurs pour une cause juste et faire un saut de foi quand il le faut (la scène typiquement McT de la chute dans l’eau froide), comme il sait remettre les gens à leur place. Une sorte de John McClane version costard-cravatte, filiation appuyée par plusieurs plans explicites (Ryan qui rampe sur une grille, le visage quadrillé par l’ombre de celle-ci, Ryan dans un avion avec le même ours en peluche géant que John McClane).




Et j’ai une hypothèse très personnelle, c’est que la relation d’élève à maître qui se noue entre Ryan et Ramius, c’est un peu celle que McTiernan a eue avec son mentor, le réalisateur slovaque Jan Kadar… Ajouté à cela que la famille McTiernan baigne dans la Navy depuis plusieurs générations (son père fait d’ailleurs un caméo), que McT lui-même est passionné d’histoire navale, ce film était vraiment fait pour lui !

Mais Octobre Rouge est aussi un basculement, c’est en tout cas comme ça que je le ressens, dans sa filmo. L’arrivée d’une mélancolie concomitante au succès, d’un mal-être même, qui s’exprime non plus au travers des personnages mais par les choix artistiques de McT. Parce que je crois que le gros problème de McTiernan, c’est son rapport ambivalent au succès. On se rappelle la fameuse réplique de Gruber dans Die Hard : « Alexandre le Grand, voyant l’étendue de son Empire, pleura car il ne lui restait plus rien à conquérir », qui aurait été écrite par McT lui-même pour signifier l’arrogance du personnage. Après la sortie d’Octobre Rouge, le cinéaste a transformé l’essai et intègre pour de bon la A List des studios. C’est à ce moment-là qu’il vit peut-être une petite crise existentielle qui va se retranscrire dans la nature même de ses films suivants. Comme si le réalisateur, qui n’a jamais caché son aversion vis-à-vis d’Hollywood, avait voulu organiser sa propre sortie du système.



Medicine Man (1992) est un des films les moins marquants du réalisateur, mais pas inintéressant pour autant. McTiernan semble avoir besoin de souffler, de retrouver une légèreté dans le ton et dans la forme. S’il introduit son film par un clin d’oeil à Die Hard, s’il retrouve la forêt tropicale et le même chef op que Predator, si enfin le personnage de Connery est de même nature que celui d’Octobre Rouge (un homme qui se fuit lui-même, d'ailleurs il se nomme Campbell, nom de la mère de McT), on sent que l’objectif de McT est de prendre littéralement de la hauteur, de retrouver une respiration (les plans y sont longs) que les huis-clos ne permettent pas. Cette comédie romantique sur fond de thriller écolo-médical ne prend pas toujours, mais elle recèle des moments de cinéma de pure magie (les séquences dans les arbres, où la caméra semble délivrée de toute pesanteur) et transmet une volonté d’élévation, d’harmonie et de liberté qu’on ne retrouve dans aucun autre McT. Le classique séquence de vertige et de chute dans l’eau est déclinée cette fois comme un moment de lâcher prise comique et romantique plus que comme une épreuve, un dépassement de soi.


La fin du film, qui rappelle beaucoup Predator, révèle toutefois la personnalité tourmentée de McTiernan puisqu’elle met en scène le personnage principal, à cause d’un combat perdu d’avance, être la cause indirecte de la perte de tout son travail. Une séquence tristement prémonitoire, qui illustre toutes les contradictions du « personnage » McTiernan : quelqu’un capable du meilleur mais qui, hanté par des démons intérieurs et plus ou moins volontairement inadapté au système, peut détruire ce qu’il a construit pour tout recommencer.




Medicine Man n’ayant pas guéri McTiernan d’Hollywood, le voilà qui y revient de plus belle pour tout faire péter de l’intérieur. Au bout d’une entreprise improbable où l’aveuglement des producteurs qui pensaient tout régler avec l’argent et la mégalomanie de la star du moment ont rencontré la tentation borderline d’un cinéaste en crise, Last Action Hero demeure encore aujourd’hui un formidable portnawak à 100 millions de dollars (oui, c’était cher à l’époque) qui a complètement échappé à ses créateurs. Raté, le film l’est sans doute en partie, et peut-être pas seulement parce que, d’après McTiernan, il n’a pas eu le temps d’être monté (il ferait 20 minutes de trop selon lui !) ou que le studio a voulu considérablement édulcorer le premier jet beaucoup plus acide de Shane Black.



En tout état de cause, si quelques morceaux de bravoure troussés par le maître méritent le coup d’œil, la mise en scène de McT semble s’être appauvrie et ni la parodie ni le premier degré ne fonctionnent réellement. Le conte fantastique « léger » à la Cendrillon que McT dit avoir voulu faire ne semble jamais avoir été sa préoccupation première. Mais c’est un ratage fascinant, car malgré un humour complètement barré (et dont je suis assez fan), le film suinte de toute la répulsion dont McTiernan peut faire preuve vis-à-vis d'Hollywood… et de son propre travail. Relayé par un Schwarzenegger qui ne rechigne jamais à l’auto-flagellation, McTiernan surligne la vanité et l’absurdité (le chat de dessin animé !) d’un monde qu’il a contribué à créer pour en annoncer la fin : ridiculisé, ce héros d’action doit effectivement être le dernier (le salut au coucher de soleil final est un adieu). Au point que le monde réel a beau être oppressant, injuste et dangereux, c’est vers là que le spectateur est invité à retourner. Wow !


Plus qu’un film postmoderne en avance sur son temps, je vois Last Action Hero comme un exutoire, vomi sur l’écran comme on se débarrasse d’un poids sur l’estomac, première vraie erreur dans le parcours de McTiernan d’un point de vue artistique, mais étape logique au vu d’un parcours qui n’annonçait que la tentation de l’exil... et de la chute. Et à propos de chutes, le film en est truffé, comme un leitmotiv annonçant celle du cinéaste. Car évidemment, après ce four quatre étoiles, McT n’est plus seulement un réalisateur qui n'est pas reconnu à sa juste valeur, il est aussi celui qui peut couler un studio. Et ça aussi, c'est un tournant majeur dans sa carrière...





Très marqué par la réception négative de Last Action Hero, McT embraye sur un projet moins risqué, la seule suite qu'il ait accepté de faire : Une Journée en Enfer. Pourtant, peut-être conscient qu’il faut changer quelque chose dans sa façon de travailler, peut-être libéré d’un certains poids, il ne joue pas le confort pour autant et décide de reprendre les choses là où il les avaient laissées avec son précédent film : à New York.


La partie « monde réel » de Last Action Hero était encore trop « propre », lisse, hollywoodienne, McT va donc donner à son style un coup de neuf, comme si ses lents et élégants mouvements de caméra venaient rencontrer le style plus direct d’un William Friedkin. Il n’hésite pas pour cela à bousculer volontairement son chef op Peter Menzies durant les prises de vue et à donner des indications secrètes aux acteurs pour créer un effet de surprise. Cette nouvelle approche, des plans toujours aussi élaborés mais pris sur le vif, fait merveille. Le cinéma de McTiernan n’a jusque là jamais été aussi alerte, aussi organique, aussi efficace, et il ne perd rien de sa maîtrise ou de sa fluidité (en atteste le premier plan du film dans le commissariat, de toute beauté). Le genre de film qu’on peut revoir à volonté, seul l’essoufflement du dernier quart, qui flirte avec la parodie et manque d’enjeu émotionnel, l’empêche d’être tout à fait à la hauteur du premier.



Fort de ce succès, McTiernan attaque son prochain projet avec l'envie d'aller vers un cinéma plus exigeant, qui va marquer une étape supplémentaire dans sa relation conflictuelle avec les studios : Le 13e Guerrier. Pour son premier film historique, un film de Vikings dont le sujet rappelle un de ses films de jeunesse, McT décide de laisser parler sa fibre d'anthropologue et veut recréer l'ambiance austère et sauvage de la Norvège d'il y a 1000 ans. Il caste donc des acteurs européens inconnus, fait construire un vrai village viking sur l'Ile de Vancouver et impose au tournage des conditions "live" vraiment éprouvantes, son but étant de rendre le roman original de Michael Crichton beaucoup plus effrayant. Ce tournage, qui s'étendra sur plus d'un an entre les multiples ajouts et scènes retournées, tourne au désastre pour McTiernan. Pendant qu'il quitte sa femme Donna Dubrow pour la costumière Kate Harrington, le studio Touchstone contrecarre nombre de ses choix artistiques, change le titre et la musique prévue, réclame à McT un film grand public classé PG13, réoriente ses choix suite à des projections tests orientées vers un public de blockbuster estival... Et bien sûr, la lutte de pouvoir entre McT et Crichton tourne à l'avantage de ce dernier, qui obtient le final cut, simplifiera beaucoup un film à la narration déjà très elliptique et retournera même ses propres scènes dans le dos du réalisateur... y compris des scènes gore, le studio ayant entre temps changé d'avis sur la classification !

Considéré par le studio comme un projet maudit, le film est sorti en catimini à l'été 99 et ne marche pas. Mais il finit par trouver ses fans, d'autant plus stimulés par l'aura mystérieuse qui entoure sa fabrication. On sait aujourd'hui que le mythe d'un director's cut beaucoup plus long a été largement fantasmé par les fans de McT. Le réalisateur lui-même, dans un excès de modestie dont il a l'habitude, affirme que son montage ne dure que 10 minutes de plus et que ces dernières ne contiennent aucun chef-d'oeuvre caché. Ce que contredit en partie l'acteur Vladimir Kulich, qui estime que le montage initial de McT était magnifique et résolvait beaucoup de problèmes narratifs présents dans la version que l'on connaît...


Bref, si on peut difficilement parler du 13e Guerrier sans évoquer ce contexte, il ne faut surtout pas en rester là. Car pour moi, le film recèle sans aucun doute les plus belles et les plus fortes images que McT ait jamais tournées, ce qui n'est pas rien : la première scène de l'Oracle, filmée par dessus l'épaule d'Omar Sharif, l'apprentissage du langage par Ibn Fadlan, l'arrivée du Drakkar dans la brume, les lents zooms sur la forêt, les attaques des Wendols, et cette dernière charge fabuleuse avec un Buliwyf combattant, déjà mort, sous la pluie... La collaboration de McT avec Peter Menzies, dans la même veine organique et rugueuse que Die Hard 3, donne naissance à un film sans âge, qui ne ressemble à aucun autre, d'une beauté sauvage qui n'a aucune égale dans le cinéma d'aventures. Chef d'oeuvre dont on comble les blancs au fil des visions, loin d'être maudit à mes yeux, le 13e Guerrier, certes film imparfait, est un joyau complexe qui inspira à Jerry Goldsmith, pourtant remplaçant de Graeme Revell, un de ses scores les plus somptueux. C'est peut-être le film que McT renie le plus (alors qu'on y retrouve toutes ses obsessions), moi c'est mon préféré.

Comme souvent après un échec, McT sait rebondir rapidement et Thomas Crown est parfait pour ça : ce film de cambriole new-yorkais glamour et plutôt léger, tourné pour son pote Brosnan, a tout pour faire oublier les vikings et la boue de Vancouver. McTiernan y retrouve un style élégant et classique qui colle à merveille à son sujet, et régale les fans avec des séquences de vol de tableau où son sens de la chorégraphie et de la scénographie font évidemment merveille. Le film est un relatif succès et aurait pu être celui de l'apaisement pour McTiernan, une respiration, un peu comme Medicine Man en son temps. Mais comme Medicine Man, ce film de séduction semble plus que jamais hanté par ce qui ronge le réalisateur. Si l'on considère que Brosnan et son personnage sont l'alter ego de McTiernan (c'était déjà le cas dans Nomads), on se rend compte que McT se voit toujours comme un type un peu malade de son succès, au bord de la dépression (l'idée de la psy jouée par Faye Dunaway est de lui), qui a juste envie de tout plaquer et de redevenir anonyme. Cette volonté de disparaître va jusqu'à rendre Brosnan comme absent du film, dont les rôles les plus incarnés sont ceux de René Russo et Dennis Leary. Et comme Medicine Man l'était, Thomas Crown est un peu le calme qui annonce la tempête.





Enlisé dans une procédure de divorce qui dure depuis 97, le ruine et et fait éclater au grand jour son état dépressif, McTiernan aligne les projets avortés au début des années 2000 et ne se voit plus proposer que des remakes. Il décide alors, une nouvelle fois, de jouer à la roulette russe avec sa carrière.
Rollerball restera certainement le plus grand mystère de celle-ci. Quelles étaient les vraies intentions de McT au départ ? Qu'en reste-t-il à l'arrivée (le film lui ayant à nouveau largement échappé) ? A quel point ses nombreux choix qui font du film une insulte au bon goût (un casting d'endives face à un Jean Reno en roue libre, une photo hideuse, une histoire incompréhensible, la production design à vomir) sont volontaires ? Ce qui est sûr, c'est que le film qu'on a vu ne ressemble pas à ce que McT annonçait ni à ce que les spectateurs de la première projection test ont vu : une première demi-heure sans un mot d'anglais à l'écran, un sommet de violence graphique, un montage ultra-cut qui devait exploser le record du nombre de plans. McT avait alors peut-être de vraies raisons de penser que Charles Roven, le producteur, sabotait son travail derrière son dos, mais c'est une autre histoire...

A l'arrivée, le film est ce qu'il est : un brûlot dont le premier degré semble passer complètement à la trappe au profit d'un discours subversif qui passe par le traitement de l'image, et dont l'énergie destructrice le consume, un OVNI difficilement défendable mais chargé d'un esprit anar et d'une violence contre la société du spectacle qui n'ont pas fini d'interpeller. 


Le nouvel et colossal échec de Rollerball aurait pu définitivement mettre un terme à la carrière de McT. Mais malgré sa fatigue de perdre des bras de fer politiques avec ses producteurs, McTiernan est un combattant, qui se relève de ses gadins artistiques, critiques et commerciaux d'autant plus facilement qu'il se sent certainement plus à l'aise dans la peau d'un underdog que dans celle du réalisateur tout puissant qu'il a (brièvement) été.
Basic aurait donc dû être une nouvelle étape dans le parcours d'un réalisateur fait de coups de génie, d'accidents retentissants et de contre-pieds habiles mais qui n'a jamais cessé de tourner, un film probablement considéré comme un peu anecdotique... si ce n'était son dernier en date, et donc un film à qui l'on est forcément tenté de donner une résonance particulière.

Et de fait, au-delà de son gimmick scénaristique qui laisse le champ libre à McT pour montrer que sa réalisation reste toujours aussi classieuse, on peut voir Basic comme autre chose qu'un exercice de style un peu vain. Le schéma qui consiste à placer un personnage charismatique et un brin mystérieux (celui de Travolta) dans le collimateur d'un personnage plus neutre chargé de percer son mystère (Connie Nielsen) rappelle beaucoup trop de films du cinéaste pour être un hasard, l'enjeu était ici de savoir si Travolta est un "good guy" ou un "bad guy" (terminologie que McT utilise pour parler des producteurs). Et si on peut noter une certaine ressemblance physique du réalisateur avec Travolta, qui joue un personnage en marge, alcoolique et faussement accusé de corruption (!), on pourra alors penser que Basic est, au sein d'une filmographie qui ne fait que ça, une invitation à aller au-delà des apparences et à mieux évaluer la valeur des gens.

Une invitation qui, dans le cas de John McTiernan, consiste à en revoir l'oeuvre pour mieux apprécier la complexité... Car il n'est pas sûr du tout que McTiernan retourne un film un jour. Les derniers témoignages que l'on a de lui, datant de 2010, montrent un homme qui a pris un énorme coup de vieux, fatigué, toujours passionné de cinéma (il faut le voir parler de ses films préférés dans les bonus du BR du 13e Guerrier) mais personnellement détruit et accaparé par ses démêlés judiciaires.



Comment l'ex-réalisateur n°1 d'Hollywood a-t-il pu finir ainsi ? La réponse est aussi dans ses films...


Pour aller plus loin dans la connaissance de ceux-ci et de John McTiernan, soulignons à quel point sont précieux ses commentaires audio présents sur la plupart des éditions de ses films, mais aussi la richesse de sites internet animés par les fans.
Ils sont nombreux, je n'en cite que quelques uns :
- le site de L'Ouvreuse qui a compilé et mis en forme dans plusieurs articles intitulés "Les Archives McTiernan" une quantité impressionnante d'interviews du cinéaste.
- le blog John McTiernan Database, qui notamment a recensé tous les projets avortés de McT, et qui a traduit (merci à lui) une article édifiant d'Empire sur la production de Last Action Hero
- La déclinaison du site Conan Completist consacrée au 13e Guerrier et à son mythique director's cut
- enfin, pour les fans les plus portés sur la technique et notamment sur la photographie de Jan DeBont dans les deux bijoux sur lesquels il a collaboré avec McT, l'excellent blog de Jean Charpentier, dans lequel sont disséqués les choix d'éclairage de Die Hard et Red October.

Et n'oubliez pas bien sûr de soutenir McT via la page Facebook de Free John McTiernan (lui-même et sa famille y sont très sensibles), ou éventuellement en lui écrivant à cette adresse :

John McTiernan
Reg n° 43029-112
Federal Prison Camp
PO Box 700
YANKTON SD 57078
USA