L'actualité judiciaire tragique de John McTiernan aura eu au moins cet effet bénéfique : faire à nouveau parler de ce réalisateur, qui - on l'aura deviné - a sa place dans mes tous préférés.
Car si McT fait toujours l'objet d'un culte dans une certaine sphère critique (surtout française et majoritairement geek), cette admiration parfois bruyante suscite souvent l'incompréhension chez les autres cinéphiles qui, même s'ils aiment ses films les plus respectables (les deux Die Hard), ne voient pas où se situerait le prétendu génie d'un cinéaste davantage considéré comme un "habile faiseur" ou un "honnête artisan", selon les expressions consacrées. Ca et là, on lit même que l'artiste serait surestimé, malgré le caractère encore marginal du culte dont il fait l'objet.
Le discours des fans est malheureusement impuissant à combler le fossé : McT serait un maître du "découpage", un virtuose de l'espace en trois dimensions, un metteur en scène "musical"... Que des termes un peu sibyllins pour le cinéphile de base, qui en revanche arrive assez bien à discerner l'esthétique d'un Tony Scott, le ton satirique d'un Paul Verhoeven ou les thématiques chères à James Cameron, pour prendre les réalisateurs qui jouent sur le même terrain que McT. L'incompréhension atteint parfois des sommets quand ses fans les plus dévoués s'essayent à démontrer la valeur d'un film comme Rollerball, largement conspué, en développant un discours plus ou moins pédagogique selon lequel le film renvoie aux spectateurs sa propre médiocrité... Bref, alors que le réalisateur n'a plus tourné depuis 10 ans, le débat sur sa valeur est plus vivace que jamais.
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Le collectif de soutien fondé par des Français |
Le gros problème de McTiernan, c'est que l'essentiel de son talent repose sur l'utilisation d'une technique cinématographique extrêmement pointue et inventive, que salue la plupart de ses collaborateurs, mais toujours au service d'un but plus grand. Aucun des effets qu'il utilise n'est gratuit : servant toujours à guider le regard et à stimuler le spectateur, sa mise en scène bien que très élaborée n'est en que plus discrète, jamais ostensible, toujours "digérée" dans l'information ou l'émotion qu'elle fait passer. Pour faire simple : quand on regarde un film de McTiernan, on ressent l'effet que la mise en scène recherche, sans forcément remarquer la technique qui se cache derrière. Ce que McTiernan désire atteindre, c'est un langage cinématographique aussi nuancé et évolué que la musique, capable de raconter une histoire par des émotions, sans passer par le texte ou l'analyse.
Ce n'est qu'en s'attachant précisément à comprendre ses choix artistiques, en revoyant ses films à cet effet, qu'on réalise à quel point non seulement McT a bel et bien une "patte", mais à quel point il est un des réalisateurs les plus audacieux et influents de sa génération. Et bien loin de n'être qu'un formaliste, celui que l'on prend souvent pour un simple "action director" a su construire une filmographie cohérente, aux motifs récurrents, à l'évolution logique et où des thématiques émergent. Ses films, de Nomads à Basic, en disent beaucoup plus sur leur auteur qu'ils n'en ont l'air, et c'est une figure éminemment complexe qui se dessine, passionnante à tenter de cerner.
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McT et un de ses motifs : le personnage qui tombe |
Car John McTiernan cultive les paradoxes : œuvrant dans un cinéma populaire et bourrin alors qu'il se réclame de Godard ou Bertolucci, cherchant à être un entertainer malgré sa détestation d'Hollywood, désirant divertir son public mais également le bousculer, le faire sortir de sa zone de confort (effort croissant dans l'évolution de sa filmographie), il se révèle en interview d'une érudition sans bornes mais d'une modestie confiant à l'auto-dépréciation. Son parcours d'homme et de réalisateur semble lui-même soumis à des tiraillements internes qui l'ont emporté sur toute stratégie...
Son père, John Sr., décédé en 2008, était un avocat ayant quasiment perdu la vue lors de sa participation à la 2e Guerre Mondiale. Pour travailler sa voix dans les plaidoiries, il prend des cours de chant et devient bientôt passionné d'art lyrique et chanteur d'opéra occasionnel. Elevé en partie par son grand-père, militaire de carrière, le petit John Jr. suivra son père sur les planches et participera à la mise en scène de certains de ses spectacles. Délaissant le théâtre pour le cinéma, il fait ses études à la Julliard School de New York avant de rejoindre l'American Film Institute à Beverly Hills. Là, il sera élève du réalisateur slovaque Jan Kadar qui l'encouragera à envisager un film comme une partition musicale, formé d'une suite de plans comme une symphonie est une suite de notes. Et comme un musicien apprend les notes des grandes pièces de musique, Kadar l'incitera à apprendre par coeur de grands films comme 8 et demi ou Orange Mécanique, séquence par séquence, et à s'interroger sur chacune d'elle. C'est ainsi que McT va trouver sa méthode de travail : visualiser tout le film dans sa tête, plan par plan, avant de le tourner.
Après quelques films d'étudiants, il se voit confier son premier gros budget en 1986 avec Nomads.
Pierce Brosnan, qui deviendra l'ami de McTiernan en partie à cause de leur origine irlandaise commune, y joue un anthropologue français perturbé par son emménagement à Los Angeles. Il décide de prendre en chasse une bande de loubards qu'il soupçonne être des esprits démoniaques.
Pris à part, le film est une anomalie étrange et inclassable, faux film fantastique à la narration mal maîtrisée et bourré des défauts de débutant, flirtant parfois avec le nanar halluciné. Mais il contient déjà énormément de motifs (la poursuite, l'ennemi invisible, le groupe, la chute, les personnages éclairés derrière des stores) et de thématiques (le personnage exilé, le désir de fuite, le langage, le conflit conjugal) propres au cinéma de McTiernan. La chanson du film, Stranger, souligne cette impression : les paroles sonnent comme une note d'intention de toute la filmo de McT.
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Une chute jumelle de celle de Die Hard |
Mais au-delà de ces correspondances, on assiste déjà à l'affirmation d'un style. Certaines séquences sont très réussies, la plus remarquable de toutes étant celle de la "transmission" entre Brosnan et Lesley Anne Down, où le premier se jette sur la seconde. Le mouvement d'appareil épouse la trajectoire des personnages, donnant l'impression que le sol se dérobe sous la caméra (ici à 1'16).
Souvent considéré comme un maître de l'appréhension de l'espace, McT aime également rappeler qu'il recherche, à travers sa mise en scène, à reproduire des images de l'intensité d'un rêve. Et en effet, si sa mise en scène est souvent d'une limpidité exemplaire, elle va parfois brouiller nos repères en recherchant un effet de vertige brutal et déstabilisant. C'est ce que semble avant tout rechercher Nomads, film cauchemar où transparaît déjà tout le côté obscur de McTiernan : paranoia, dépression et pulsions auto-destructrices, sans compter une aversion féroce pour la Californie... Un film probablement d'autant plus personnel qu'il en est l'auteur du scénario et que la femme du personnage principal est jouée par Ana-Maria Monticelli, avec qui McT a eu son premier enfant.
Il n'y avait probablement que Joel Silver pour remarquer dans Nomads le potentiel de son réalisateur et lui confier une série B d'action dans la jungle avec Schwarzenegger. McTiernan avoue lui même avoir eu la chance de partager un agent avec la star autrichienne, ce qui lui a permis de réaliser son premier film de studio. Ce tremplin pour Hollywood, que McT voit comme un pur divertissement, c'est évidemment le méga-culte Predator.
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Un angle de cadre étrange qui renforce l'intensité du plan |
Avant de me refaire une intégrale McT pour cet article, je ne l'avais pas revu depuis longtemps et c'est génial de se rendre compte que tout fonctionne toujours aussi bien. Il y a vraiment un charme propre à ce film et qui ne se dit pas facilement, comme une odeur, une mélodie, quelque chose qui parle aux tripes sans passer par la case cerveau, qui fonctionne à un niveau primal, enfantin. Ce qui est sûr c'est que ce script était idéal pour McTiernan et le laisser embrasser la jungle et développer son sens de la mise en scène expressive. Il y déploie toute une panoplie de procédés (bascules de point, lents zooms, travellings complexes, hyper-plongées et contre-plongées) sans que cela se voie, toujours à bon escient, atteignant parfois ce point de vertige où le spectateur perd tout repère spatial sans pour autant cesser de comprendre ce qui se passe (l'attaque de Carl Weathers par le Predator). On pourra à l'envie gloser sur le sous-texte sexuel du film, rappeler la dimension mythologique du récit, noter que l'intrigue repose encore sur un jeu d'apparences trompeuses, mais on reste surtout en face d'une pure leçon de cinéma quasi muet, faite par un intello qui voulait notamment se moquer de ces gros beaufs avec leurs fusils en soulignant leur impuissance. Le film sera un succès surprise et catapultera l'année suivante McT aux commandes d'un thriller d'action urbain initialement prévu pour être la suite de Commando. McT transformera radicalement le projet pour y injecter de l'élégance, de l'humanité, et beaucoup de légèreté. Le genre ne s'en remettra pas.
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L'irrésistible ascension de John McClane |
Je ne reviens pas longtemps sur le monument Piège de Cristal, qui ne vieillit presque pas et qui n'en a pas encore fini de dévoiler les secrets de sa parfaite mécanique. Juste dire qu'en trois longs-métrages (en trois ans !), voilà déjà McT au sommet de son art. Grâce à Jan DeBont qu'il emprunte à Verhoeven, il adopte une esthétique qui restera sa marque de fabrique : scope anamorphique et lens flares qui envahissent la nuit. Et McTiernan trouve enfin son héros : un type qui a le vertige, qui ne s'aime pas beaucoup, qui n'est pas doué avec les gens, qui n'aime pas la Californie ni les manières des riches, un emmerdeur qui ne renonce jamais et qui gagne par la ruse. Un type qui lui ressemble.
Là encore, le film demeure une leçon de cinéma : la caméra, toujours en mouvement, distille une quantité d'informations incroyable avec une simplicité, comme on dit, désarmante. C'est certainement, avec Octobre Rouge, le film le plus "parfait" de McTiernan, celui qui correspond le mieux à l'ambition avouée du réalisateur : la simplicité narrative d'un John Ford, la sophistication formelle d'un Fellini, la maîtrise d'un Kubrick.
Au tout-action des films précédents, McTiernan opte à présent vers le thriller de chambre, ou plutôt de sous-marin. Mais pour celui pour qui les dialogues ne sont "que du bruit" (le film est en partie, comme souvent, parlé en langue étrangère non sous-titrée), le défi consiste à raconter cette histoire par l'image. Du coup, Octobre Rouge est certainement le film le plus fin et racé de son auteur, une passionnante partie d'échecs qui se joue en partie sur les sons et le tempo (la stratégie de Ramius consistant à adopter le bon mouvement au bon moment), rappelant l'obsession de McT pour le récit musical. Stylistiquement, c'est le jumeau de Die Hard, et de nombreuses correspondances visuelles sont tissées entre les deux films.
En outre, il s’agit à mon avis, malgré ses airs de grosse machine à suspense d'après Tom Clancy, d’un des films les plus personnels de McTiernan en plus d’être l’un de ses plus aboutis. On a l’impression de retrouver un peu de McT dans tous les personnages : du sonar amoureux de musique classique au militaire « cow-boy » interprété par Scott Glenn en passant par l’officier russe (Sam Neill) qui rêve du Montana, l’état voisin du Wyoming où McT s’est installé, et bien sûr par les personnages de Ramius (Connery) et de Jack Ryan (Baldwin). Le film a souvent été jugé dépassé à cause de son contexte de guerre froide. Mais c’est avant tout l’histoire d’un homme, Ramius, qui cherche à fuir son monde pour se fuir lui-même, dans un geste quasi-suicidaire (il ne se donne qu’une chance sur trois d’y survivre) causé par la culpabilité de ne pas avoir été là quand sa femme est morte. Ce personnage, c’est du pur McTiernan version côté obscur, et on imagine que le réalisateur peut aisément se reconnaître dans ce que vit un sous-marinier, obligé de s’éloigner de sa famille pendant une mission (un tournage) de plusieurs mois. Quant à Jack Ryan, c’est le côté clair de McT : un érudit, homme de dossier et d’instinct, un peu timide et vulnérable (il a – encore une fois – le vertige), mais qui sait dépasser ses peurs pour une cause juste et faire un saut de foi quand il le faut (la scène typiquement McT de la chute dans l’eau froide), comme il sait remettre les gens à leur place. Une sorte de John McClane version costard-cravatte, filiation appuyée par plusieurs plans explicites (Ryan qui rampe sur une grille, le visage quadrillé par l’ombre de celle-ci, Ryan dans un avion avec le même ours en peluche géant que John McClane).
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Mais Octobre Rouge est aussi un basculement, c’est en tout cas comme ça que je le ressens, dans sa filmo. L’arrivée d’une mélancolie concomitante au succès, d’un mal-être même, qui s’exprime non plus au travers des personnages mais par les choix artistiques de McT. Parce que je crois que le gros problème de McTiernan, c’est son rapport ambivalent au succès. On se rappelle la fameuse réplique de Gruber dans Die Hard : « Alexandre le Grand, voyant l’étendue de son Empire, pleura car il ne lui restait plus rien à conquérir », qui aurait été écrite par McT lui-même pour signifier l’arrogance du personnage. Après la sortie d’Octobre Rouge, le cinéaste a transformé l’essai et intègre pour de bon la A List des studios. C’est à ce moment-là qu’il vit peut-être une petite crise existentielle qui va se retranscrire dans la nature même de ses films suivants. Comme si le réalisateur, qui n’a jamais caché son aversion vis-à-vis d’Hollywood, avait voulu organiser sa propre sortie du système.
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Medicine Man (1992) est un des films les moins marquants du réalisateur, mais pas inintéressant pour autant. McTiernan semble avoir besoin de souffler, de retrouver une légèreté dans le ton et dans la forme. S’il introduit son film par un clin d’oeil à Die Hard, s’il retrouve la forêt tropicale et le même chef op que Predator, si enfin le personnage de Connery est de même nature que celui d’Octobre Rouge (un homme qui se fuit lui-même, d'ailleurs il se nomme Campbell, nom de la mère de McT), on sent que l’objectif de McT est de prendre littéralement de la hauteur, de retrouver une respiration (les plans y sont longs) que les huis-clos ne permettent pas. Cette comédie romantique sur fond de thriller écolo-médical ne prend pas toujours, mais elle recèle des moments de cinéma de pure magie (les séquences dans les arbres, où la caméra semble délivrée de toute pesanteur) et transmet une volonté d’élévation, d’harmonie et de liberté qu’on ne retrouve dans aucun autre McT. Le classique séquence de vertige et de chute dans l’eau est déclinée cette fois comme un moment de lâcher prise comique et romantique plus que comme une épreuve, un dépassement de soi.
La fin du film, qui rappelle beaucoup Predator, révèle toutefois la personnalité tourmentée de McTiernan puisqu’elle met en scène le personnage principal, à cause d’un combat perdu d’avance, être la cause indirecte de la perte de tout son travail. Une séquence tristement prémonitoire, qui illustre toutes les contradictions du « personnage » McTiernan : quelqu’un capable du meilleur mais qui, hanté par des démons intérieurs et plus ou moins volontairement inadapté au système, peut détruire ce qu’il a construit pour tout recommencer.
Medicine Man n’ayant pas guéri McTiernan d’Hollywood, le voilà qui y revient de plus belle pour tout faire péter de l’intérieur. Au bout d’une entreprise improbable où l’aveuglement des producteurs qui pensaient tout régler avec l’argent et la mégalomanie de la star du moment ont rencontré la tentation borderline d’un cinéaste en crise, Last Action Hero demeure encore aujourd’hui un formidable portnawak à 100 millions de dollars (oui, c’était cher à l’époque) qui a complètement échappé à ses créateurs. Raté, le film l’est sans doute en partie, et peut-être pas seulement parce que, d’après McTiernan, il n’a pas eu le temps d’être monté (il ferait 20 minutes de trop selon lui !) ou que le studio a voulu considérablement édulcorer le premier jet beaucoup plus acide de Shane Black.
En tout état de cause, si quelques morceaux de bravoure troussés par le maître méritent le coup d’œil, la mise en scène de McT semble s’être appauvrie et ni la parodie ni le premier degré ne fonctionnent réellement. Le conte fantastique « léger » à la Cendrillon que McT dit avoir voulu faire ne semble jamais avoir été sa préoccupation première. Mais c’est un ratage fascinant, car malgré un humour complètement barré (et dont je suis assez fan), le film suinte de toute la répulsion dont McTiernan peut faire preuve vis-à-vis d'Hollywood… et de son propre travail. Relayé par un Schwarzenegger qui ne rechigne jamais à l’auto-flagellation, McTiernan surligne la vanité et l’absurdité (le chat de dessin animé !) d’un monde qu’il a contribué à créer pour en annoncer la fin : ridiculisé, ce héros d’action doit effectivement être le dernier (le salut au coucher de soleil final est un adieu). Au point que le monde réel a beau être oppressant, injuste et dangereux, c’est vers là que le spectateur est invité à retourner. Wow !
Plus qu’un film postmoderne en avance sur son temps, je vois Last Action Hero comme un exutoire, vomi sur l’écran comme on se débarrasse d’un poids sur l’estomac, première vraie erreur dans le parcours de McTiernan d’un point de vue artistique, mais étape logique au vu d’un parcours qui n’annonçait que la tentation de l’exil... et de la chute. Et à propos de chutes, le film en est truffé, comme un leitmotiv annonçant celle du cinéaste. Car évidemment, après ce four quatre étoiles, McT n’est plus seulement un réalisateur qui n'est pas reconnu à sa juste valeur, il est aussi celui qui peut couler un studio. Et ça aussi, c'est un tournant majeur dans sa carrière...
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Très marqué par la réception négative de Last Action Hero, McT embraye sur un projet moins risqué, la seule suite qu'il ait accepté de faire : Une Journée en Enfer. Pourtant, peut-être conscient qu’il faut changer quelque chose dans sa façon de travailler, peut-être libéré d’un certains poids, il ne joue pas le confort pour autant et décide de reprendre les choses là où il les avaient laissées avec son précédent film : à New York.
La partie « monde réel » de Last Action Hero était encore trop « propre », lisse, hollywoodienne, McT va donc donner à son style un coup de neuf, comme si ses lents et élégants mouvements de caméra venaient rencontrer le style plus direct d’un William Friedkin. Il n’hésite pas pour cela à bousculer volontairement son chef op Peter Menzies durant les prises de vue et à donner des indications secrètes aux acteurs pour créer un effet de surprise. Cette nouvelle approche, des plans toujours aussi élaborés mais pris sur le vif, fait merveille. Le cinéma de McTiernan n’a jusque là jamais été aussi alerte, aussi organique, aussi efficace, et il ne perd rien de sa maîtrise ou de sa fluidité (en atteste le premier plan du film dans le commissariat, de toute beauté). Le genre de film qu’on peut revoir à volonté, seul l’essoufflement du dernier quart, qui flirte avec la parodie et manque d’enjeu émotionnel, l’empêche d’être tout à fait à la hauteur du premier.
Fort de ce succès, McTiernan attaque son prochain projet avec l'envie d'aller vers un cinéma plus exigeant, qui va marquer une étape supplémentaire dans sa relation conflictuelle avec les studios : Le 13e Guerrier. Pour son premier film historique, un film de Vikings dont le sujet rappelle un de ses films de jeunesse, McT décide de laisser parler sa fibre d'anthropologue et veut recréer l'ambiance austère et sauvage de la Norvège d'il y a 1000 ans. Il caste donc des acteurs européens inconnus, fait construire un vrai village viking sur l'Ile de Vancouver et impose au tournage des conditions "live" vraiment éprouvantes, son but étant de rendre le roman original de Michael Crichton beaucoup plus effrayant. Ce tournage, qui s'étendra sur plus d'un an entre les multiples ajouts et scènes retournées, tourne au désastre pour McTiernan. Pendant qu'il quitte sa femme Donna Dubrow pour la costumière Kate Harrington, le studio Touchstone contrecarre nombre de ses choix artistiques, change le titre et la musique prévue, réclame à McT un film grand public classé PG13, réoriente ses choix suite à des projections tests orientées vers un public de blockbuster estival... Et bien sûr, la lutte de pouvoir entre McT et Crichton tourne à l'avantage de ce dernier, qui obtient le final cut, simplifiera beaucoup un film à la narration déjà très elliptique et retournera même ses propres scènes dans le dos du réalisateur... y compris des scènes gore, le studio ayant entre temps changé d'avis sur la classification !
Considéré par le studio comme un projet maudit, le film est sorti en catimini à l'été 99 et ne marche pas. Mais il finit par trouver ses fans, d'autant plus stimulés par l'aura mystérieuse qui entoure sa fabrication. On sait aujourd'hui que le mythe d'un director's cut beaucoup plus long a été largement fantasmé par les fans de McT. Le réalisateur lui-même, dans un excès de modestie dont il a l'habitude, affirme que son montage ne dure que 10 minutes de plus et que ces dernières ne contiennent aucun chef-d'oeuvre caché. Ce que contredit en partie l'acteur Vladimir Kulich, qui estime que le montage initial de McT était magnifique et résolvait beaucoup de problèmes narratifs présents dans la version que l'on connaît...
Bref, si on peut difficilement parler du 13e Guerrier sans évoquer ce contexte, il ne faut surtout pas en rester là. Car pour moi, le film recèle sans aucun doute les plus belles et les plus fortes images que McT ait jamais tournées, ce qui n'est pas rien : la première scène de l'Oracle, filmée par dessus l'épaule d'Omar Sharif, l'apprentissage du langage par Ibn Fadlan, l'arrivée du Drakkar dans la brume, les lents zooms sur la forêt, les attaques des Wendols, et cette dernière charge fabuleuse avec un Buliwyf combattant, déjà mort, sous la pluie... La collaboration de McT avec Peter Menzies, dans la même veine organique et rugueuse que Die Hard 3, donne naissance à un film sans âge, qui ne ressemble à aucun autre, d'une beauté sauvage qui n'a aucune égale dans le cinéma d'aventures. Chef d'oeuvre dont on comble les blancs au fil des visions, loin d'être maudit à mes yeux, le 13e Guerrier, certes film imparfait, est un joyau complexe qui inspira à Jerry Goldsmith, pourtant remplaçant de Graeme Revell, un de ses scores les plus somptueux. C'est peut-être le film que McT renie le plus (alors qu'on y retrouve toutes ses obsessions), moi c'est mon préféré.
Comme souvent après un échec, McT sait rebondir rapidement et Thomas Crown est parfait pour ça : ce film de cambriole new-yorkais glamour et plutôt léger, tourné pour son pote Brosnan, a tout pour faire oublier les vikings et la boue de Vancouver. McTiernan y retrouve un style élégant et classique qui colle à merveille à son sujet, et régale les fans avec des séquences de vol de tableau où son sens de la chorégraphie et de la scénographie font évidemment merveille. Le film est un relatif succès et aurait pu être celui de l'apaisement pour McTiernan, une respiration, un peu comme Medicine Man en son temps. Mais comme Medicine Man, ce film de séduction semble plus que jamais hanté par ce qui ronge le réalisateur. Si l'on considère que Brosnan et son personnage sont l'alter ego de McTiernan (c'était déjà le cas dans Nomads), on se rend compte que McT se voit toujours comme un type un peu malade de son succès, au bord de la dépression (l'idée de la psy jouée par Faye Dunaway est de lui), qui a juste envie de tout plaquer et de redevenir anonyme. Cette volonté de disparaître va jusqu'à rendre Brosnan comme absent du film, dont les rôles les plus incarnés sont ceux de René Russo et Dennis Leary. Et comme Medicine Man l'était, Thomas Crown est un peu le calme qui annonce la tempête.
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Enlisé dans une procédure de divorce qui dure depuis 97, le ruine et et fait éclater au grand jour son état dépressif, McTiernan aligne les projets avortés au début des années 2000 et ne se voit plus proposer que des remakes. Il décide alors, une nouvelle fois, de jouer à la roulette russe avec sa carrière. Rollerball restera certainement le plus grand mystère de celle-ci. Quelles étaient les vraies intentions de McT au départ ? Qu'en reste-t-il à l'arrivée (le film lui ayant à nouveau largement échappé) ? A quel point ses nombreux choix qui font du film une insulte au bon goût (un casting d'endives face à un Jean Reno en roue libre, une photo hideuse, une histoire incompréhensible, la production design à vomir) sont volontaires ? Ce qui est sûr, c'est que le film qu'on a vu ne ressemble pas à ce que McT annonçait ni à ce que les spectateurs de la première projection test ont vu : une première demi-heure sans un mot d'anglais à l'écran, un sommet de violence graphique, un montage ultra-cut qui devait exploser le record du nombre de plans. McT avait alors peut-être de vraies raisons de penser que Charles Roven, le producteur, sabotait son travail derrière son dos, mais c'est une autre histoire...
A l'arrivée, le film est ce qu'il est : un brûlot dont le premier degré semble passer complètement à la trappe au profit d'un discours subversif qui passe par le traitement de l'image, et dont l'énergie destructrice le consume, un OVNI difficilement défendable mais chargé d'un esprit anar et d'une violence contre la société du spectacle qui n'ont pas fini d'interpeller.
Le nouvel et colossal échec de Rollerball aurait pu définitivement mettre un terme à la carrière de McT. Mais malgré sa fatigue de perdre des bras de fer politiques avec ses producteurs, McTiernan est un combattant, qui se relève de ses gadins artistiques, critiques et commerciaux d'autant plus facilement qu'il se sent certainement plus à l'aise dans la peau d'un underdog que dans celle du réalisateur tout puissant qu'il a (brièvement) été. Basic aurait donc dû être une nouvelle étape dans le parcours d'un réalisateur fait de coups de génie, d'accidents retentissants et de contre-pieds habiles mais qui n'a jamais cessé de tourner, un film probablement considéré comme un peu anecdotique... si ce n'était son dernier en date, et donc un film à qui l'on est forcément tenté de donner une résonance particulière.
Et de fait, au-delà de son gimmick scénaristique qui laisse le champ libre à McT pour montrer que sa réalisation reste toujours aussi classieuse, on peut voir Basic comme autre chose qu'un exercice de style un peu vain. Le schéma qui consiste à placer un personnage charismatique et un brin mystérieux (celui de Travolta) dans le collimateur d'un personnage plus neutre chargé de percer son mystère (Connie Nielsen) rappelle beaucoup trop de films du cinéaste pour être un hasard, l'enjeu était ici de savoir si Travolta est un "good guy" ou un "bad guy" (terminologie que McT utilise pour parler des producteurs). Et si on peut noter une certaine ressemblance physique du réalisateur avec Travolta, qui joue un personnage en marge, alcoolique et faussement accusé de corruption (!), on pourra alors penser que Basic est, au sein d'une filmographie qui ne fait que ça, une invitation à aller au-delà des apparences et à mieux évaluer la valeur des gens.
Une invitation qui, dans le cas de John McTiernan, consiste à en revoir l'oeuvre pour mieux apprécier la complexité... Car il n'est pas sûr du tout que McTiernan retourne un film un jour. Les derniers témoignages que l'on a de lui, datant de 2010, montrent un homme qui a pris un énorme coup de vieux, fatigué, toujours passionné de cinéma (il faut le voir parler de ses films préférés dans les bonus du BR du 13e Guerrier) mais personnellement détruit et accaparé par ses démêlés judiciaires.
Comment l'ex-réalisateur n°1 d'Hollywood a-t-il pu finir ainsi ? La réponse est aussi dans ses films...
Pour aller plus loin dans la connaissance de ceux-ci et de John McTiernan, soulignons à quel point sont précieux ses commentaires audio présents sur la plupart des éditions de ses films, mais aussi la richesse de sites internet animés par les fans.
Ils sont nombreux, je n'en cite que quelques uns :
- le site de L'Ouvreuse qui a compilé et mis en forme dans plusieurs articles intitulés "Les Archives McTiernan" une quantité impressionnante d'interviews du cinéaste.
- le blog John McTiernan Database, qui notamment a recensé tous les projets avortés de McT, et qui a traduit (merci à lui) une article édifiant d'Empire sur la production de Last Action Hero
- La déclinaison du site Conan Completist consacrée au 13e Guerrier et à son mythique director's cut
- enfin, pour les fans les plus portés sur la technique et notamment sur la photographie de Jan DeBont dans les deux bijoux sur lesquels il a collaboré avec McT, l'excellent blog de Jean Charpentier, dans lequel sont disséqués les choix d'éclairage de Die Hard et Red October.
Et n'oubliez pas bien sûr de soutenir McT via la page Facebook de Free John McTiernan (lui-même et sa famille y sont très sensibles), ou éventuellement en lui écrivant à cette adresse :
John McTiernan
Reg n° 43029-112
Federal Prison Camp
PO Box 700
YANKTON SD 57078
USA
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